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L’enfance de la pensée : la philosophie avec les enfants. Trouble dans la raison éducative.

Faut-il philosopher avec les enfants ? L’enfance est-elle un régime anthropologique particulier au point où la doxa n’aurait pas encore teinté de ses biais épistémiques la logique du puer cogitans ? La question est rémanente dans l’histoire de la philosophie : les enfants sont-ils rationnels et suffisamment intelligents (non pas doués de raison) au point où les questions nécessaires et universelles peuvent être abordées avec eux, nonobstant le fait qu’il faille accommoder les formes logiques de ces questions à leur singulier profil cognitif ? Est-ce que, outre les questions pédagogiques et didactiques qui portent sur la forme des problématiques et leur mode d’exposition, les enfants ne sont pas mineurs et minorés du fait du caractère inchoatif et initiatique de leur mode d’accès à l’intelligence ?


Piaget[1], pour ne parler que de lui, mais Bachelard[2], et Jaspers, comme Dewey[3] ont introduit l’idée que les enfants pensent, au même titre que les adultes, même si leur pensée ne prend pas les formes techniques et aussi sophistiquées que celles de l’Organon d’Aristote ou de l’archéologie foucaldienne. Notre époque, parce qu’elle aime les truismes et les facilités idéologiques, s’évertue avec une rare démagogie anti-platonicienne, malgré les apparences, à faire de l’enfant un philosophe en herbe, ou en devenir, ou encore à lui attribuer les compétences – à défaut de savoirs – du philosopher, en oubliant la prudence kantienne qui consiste à dire que philosopher ne peut se faire sans une philosophie singulière qui prête ses formes et ses schèmes à la logique de la réflexion, surtout dans le domaine critique. Il est donc légitime de se demander si l’expérience de la pensée philosophique avec des enfants relève bien de l’exercice de la technique philosophique, d’une part, et par ailleurs, d’interroger la forme de philosophie requise et le savoir de l’enfance qu’on mobilise pour s’autoriser d’une telle audace d’instruction et de formation à la pensée philosophique. N’y a-t-il pas alors confusion de l’ingénuité de la pensée du philosophe avec la naïveté spontanée ou prétendue telle (Freud nous a un peu édifié dès 1905 sur la libido sciendi des enfants tout autant perverse ou compliquée que celle de leurs parents[4]) de l’enfant ? Et ne faut-il pas prendre garde à ne pas essentialiser l’enfant, l’enfance, en oubliant son sexe, ses identités sociales, économiques, institutionnelles, historiques, linguistique, institutionnelle, bref, en oubliant la réalité historique de l’enfant comme construction sociale et historique et le relatif engouement que nous avons pour son « intelligence » ou sa propension à la métaphysique liée à une manière de penser la question comme marquée, en philosophie, du sceau de l’absence de préjugés et de représentations dogmatiques ?

Un autre problème se pose sur la légitimité d’une telle démarche : pourquoi assujettir ou subjectiver les enfants à la philosophie si celle-ci mène au nihilisme ou à un ailleurs de l’être-là, par-delà le bien et le mal du terrain de la technè de la volonté de volonté menant à l’oubli de l’énigme du vivant ou de l’être, et si la philosophie n’a de sens qu’à être une peinture de gris sur du gris, la chouette de Minerve se levant toujours au crépuscule de la vie[5] ? Pourquoi alors faire grandir trop tôt les enfants avec des questions qu’ils ne peuvent comprendre qu’une fois leur vie achevée ? C’est l’aporie de Jaspers : les métaphysiciens posent des questions qu’on pense naïves parce qu’on n’est pas encore arrivés à la fin et au telos de leur questionnement qui suppose à la fois, pour être compris et pour être institué, une phénoménologie de l’Esprit rarement atteinte car elle requière d’être (d’avoir été ?) acquise avec et par la maturité du négatif surmonté dans l’Odyssée d’une vie forte de savoir et de vérité.

Ne risque-t-on pas de gâter et de corrompre, voire de détruire, l’âme des enfants en les faisant réfléchir sur des sujets qui les dépasseraient et les maintiendraient alors dans une sorte d’hypnose gnoséologique fatale eu égard à l’impossibilité qu’ils auraient de pouvoir répondre ou d’envisager même un type de réponse possible à des questions qu’ils ne comprennent pas par état ? Platon, fondateur de la pédagogie telle que nous la connaissons et qui se soucie de la progressivité des apprentissages[6] autant que les contemporains épistémologues neuro-pédagogues[7] behavioristes et amateurs de sciences de l’éducation et de la formation (sic), le vieux Platon donc, pensait qu’il y avait des âges de la vie et des moments pour philosopher. De Condorcet aux modernes philosophes de l’éducation, l’idée d’une progression, d’un cursus, ou d’un curriculum à effectuer pour apprendre et connaître, dit bien qu’on ne saurait brûler les étapes de la formation de l’esprit. On sait l’importance que la notion de corruption de l’âme et de torsion des mœurs joue dans les topoï platoniciens ; c’est même un des chefs d’accusation ayant menée Socrate à la condamnation à mort par Athènes la démocrate.

Aussi, il semble légitime de s’interroger sur la rationalité supposée de l’enfance et des enfants[8] et de la démarche qui consiste à vouloir à tout prix philosopher avec les enfants, au risque de confondre éducation morale, instruction philosophique et formation aux normes politiques de la Cité avec l’exercice difficile de la pensée critique urbi et orbi. Car le risque est grand alors de faire de la philosophie comme M. Jourdain faisait de la prose, et de transformer l’acte réflexif consistant à se déprendre de soi et de la doxa en un rituel pédagogique, technique, de type scolaire et normatif, qui escamote le danger de l’acte critique et de la pensée qui se risque aux limites que lui imposent justement le monde de la doxa, en soi et hors de soi. Car s’il y a une éthique de la pensée, elle ne peut pas se réduire à une morale, voir à une moraline, à de bons conseils et à des recommandations générales, fussent-elles citoyennes, inclusives et favorables au développement durable et, bien évidemment, respectueuse du genre...



Raison et logique de l’histoire : une archéologie floue et une généalogie négative


Si l’histoire de l’enfant se lie de façon extrêmement fine avec celle de l’enfance, c’est bien parce que le petit mammifère humain doit être éduqué à la vie en société, n’ayant pas la capacité de subvenir seul à ses besoins. Les mythes généalogiques de l’enfant sauvage ne disent rien d’autre, en négatif inversé, que cela : l’être humain est bien un animal politique doué de raison et avant tout de raison politique au sens où le lien est le liant et au sens où l’enfant ne peut être détaché de sa mère sans risque pour lui de mort réelle. Sans oublier que pendant longtemps, la parturiente partageait ce risque non voulu d’un accouchement incertain suite à une grossesse plus ou moins désirée.

L’alogon devait être conduit (agogè) par un conducteur[9] ou un éleveur d’enfant (paidagogè) à la capacité de dire, de parler, de penser, avec raison et ordre (logos), ce qu’est le monde du pouvoir, de la puissance, de l’action (ageïn) : la pédagogie est d’abord et avant tout un art (technè) d’instruire l’enfant, l’adolescent, le jeune homme, dans la connaissance de son rang, de son milieu, de ses devoirs, et des tâches dévolues à sa caste, sa classe sociale, son univers symbolique. L’enfant, celui qui ne sait pas, ne peut pas, ne doit pas encore parler (infari) est avant tout un être à façonner dans le sein de la famille, par le précepteur, s’il est issu d’une famille libre et riche, et avant d’être au service de la Cité ou de l’Etat, il doit apprendre à connaître et à reconnaître ce qui vaut, ce qui est digne de valeurs, et ce qui est indigne de soi. L’enfance est donc ce temps incertain où le jeune enfant se doit d’être évalué, formé, informé, afin de prendre sa place « naturelle » dans la Cité : et son éducation renvoie à son milieu et à la qualité de naissance donnée par ses parents, sa famille, son clan, son dème. Il est évident que l’éducation ou la pédagogie relève donc d’une question filiale de transmission des codes socio-politiques et des règles de savoir-vivre propres à la reproduction de la société antique et médiévale. Dans un monde où l’esclavage n’est pas remis en question de façon politique mais éthique et philosophique, l’acceptation de la nécessité de la liberté et de la servitude, jusqu’au haut Moyen-Âge, participe d’un travail de conditionnement et de formalisation des actions, des comportements, des discours, des pratiques, visant à faire en sorte que chacun-e tienne son rang. C’est-à-dire que chaque enfant apprenne qui il est, d’où il vient, et quelles sont les missions et les charges spécifiques que la société, sa famille, ses pairs attendent de lui.

Tout d’abord, l’enfant doit être soumis à un objectif onto-historique car il doit connaître la grammaire et l’étymon de son être au monde, de ses sources et de leurs origines, il doit savoir son histoire par l’apprentissage et la mémorisation des mythes qui organisent et structurent le sens de la culture et des pratiques qui lui confèrent ses habitus et son essence, sa réalité intime et extérieure ; l’enfant sera ainsi soumis dans ce processus pédagogique à la réalisation d’un objectif généalogique d’apprentissage de son histoire et de ses ancêtres autant que de ses mythes familiaux, objectif donc d’historicisation et de repérage dans un ensemble de faits, de lois, de paroles, de dits, d’écrits, de droits divers, au moyen desquels il saura prétendre à une puissance ou, bien plus modestement, la reconnaitre pour en faire l’allégeance ou ne pas la transgresser par ignorance des codes et des principes, au risque d’un désordre qui lui coûterait cher à tout point de vue. Et, enfin, l’enfant doit apprendre à savoir comment il doit se comporter in situ, et donc prendre telle ou telle attitude, quand il faut se taire, parler, se soumettre ou non, s’émouvoir ou être insensible, bref, pratiquer un souci de soi façonnant une technique d’existence subjectivant ses pratiques afin de pratiquer des ethoï précis, singuliers, spécifiques et, peut-être, réclamant de lui, quelquefois, le recours à une invention singulière de soi.

A partir de ces objectifs, tout un pan de classifications, de discours, de dispositifs, distille des taxinomies, plus ou moins hiérarchisantes et classificatrices, comme celles portant sur l’idiotie, la bêtise, l’imbécillité, le retard intellectuel, débordant sur des questions de tare génétique, de filiation biologique, de pureté familiale, d’eugénisme, de démence, etc. Il y a alors tout un pan médical et biologique de la pédagogie qui fait de l’éducation de l’enfant une action à la fois thérapeutique ou prophylaxique comme soin porté sur la société via une partie de sa jeunesse considérée comme futur de la Cité[10].

L’enfant est au croisement de ces pratiques et de ces théories spécifiques permettant la reproduction de soi, du monde, et de l’histoire légitimant les rapports entre l’enfant et l’adulte, l’enfant et son géniteur, le citoyen et ses gouvernants. La pédagogie est alors indistinctement conseil politique, formation médicale, accompagnement pédagogique, régime diététique et suivi des passions.

L’enfant est donc pris par un réseau qui le qualifie comme tel parce qu’il correspond non pas seulement à un savoir, à un ordre social, mais aussi à un type de relation spécifique avec un autre, plus âgé, et qualifié par sa distinction et ses capacités à dire-vrai, à être parrhésiaste et donc être capable de gouverner les autres car capable de se gouverner soi-même. L’enfant doit apprendre à se développer au contact d’un autre qualifié pour le dire vrai et usant de franc parler : le pédagogue est capable de dire la vérité sur lui-même et donc d’apprendre à l’enfant à dire vrai sur soi. C’est le parrhésiaste par excellence. Dire ce qu’est l’enfance ou l’enfant, c’est donc remonter dans une histoire complexe où le croisement des disciplines, les différentes connaissances et les différentes pratiques ont produit cette réalité singulière et située dans l’espace et dans le temps qu’on appelle l’enfant. Un nominalisme historique s’impose donc quand on parle de lui car il n’est pas une réalité substantielle ou une entité transhistorique ou une essence, entéléchie, à développer dans le temps, comme un programme neurocognitif qui serait compris dans l’ADN ou le germe du gland appelé à devenir chêne dans l’écheveau dialectique de la raison dans l’histoire. Il n’y a pas de vérité de l’enfant autre que dans la sienne propre ; comme dit la chanson populaire, on ne sort pas impunément de son enfance. Ce qui veut dire qu’elle est soit singulière et donc relève d’une expérience intime non transmissible autrement que sous la forme poétique ou rhétorique de la mise en scène de soi, soit l’enfance relève d’une science particulière, d’un mode d’être épistémique particulier qui réclame des compétences et des techniques formelles faisant disparaître l’enfant dans le champ épistémique de l’enfance qui ne le ferait qu’objet ou support ou événement dans le champ plus général de la science de l’enfance. C’est pour cela que beaucoup d’historiens ont fait de l’enfance un événement ou un avènement historique[11].

En fait, on peut donc dire que l’enfant est une construction de techniciens qui possèdent des savoirs, des connaissances, pratiques et théoriques et qui ont l’exercice de ces savoirs. La technè qui produit, fabrique, constitue l’enfant peut être le médecin, le gymnaste, au sens de Platon, le politique, le grammairien, le professeur, le sage ; ce technicien de l’enfance produit des enfants come réalité de son travail technique. On est bien loin du risque de la vérité parrhésiastique dans cette opération professionnelle de technique d’engendrement ou de production des enfants dans la pédagogie paidopoïétique. Le pédagogue, puis le professeur, ne sont pas autres choses que des techniciens d’éducation : ils ne risquent pas leur vie, ou leur lien affectif, amical, politique avec celui ou celle à qui il s’adresse. Le parrhésiaste a un certain rapport à la vérité que n’a pas le professeur contemporain, laïque, protégé par l’Etat, et qui applique un programme sans vouloir changer la nature des liens qu’il a avec son public, ses élèves, ses étudiants, et, comme le sage, le prophète, ou le technicien, le parrhésiaste a des enfants, des adolescents, des jeunes gens à éduquer ; mais, différence fondamentale d’avec le pédagogue, le professeur, le sage, il doit les instruire dans un procès de technique de vie, de souci de soi, de franc parler.

L’enfant est donc un produit, un sujet constitué dans l’histoire des pratiques sociales, éducatives, historiques, qui relève de dispositifs pratiques, discursifs, de techniques complexes éducatives, politiques, sociales, morales, et ces artefacts demandent, afin d’être saisis dans leur vérité, une archéologie de leur constitution singulière pour comprendre les logiques de leur constitution. De plus, l’enseignant-e ne risque pas sa vie ou ne se met pas en danger quand il travaille pour une institution et selon une mission qui le rend indifférent ou qui le fait indifférent, pouvant être interchangeable selon les besoins d’un service qui ne se soucie pas du confort de l’élève et encore moins du professeur. Il y a lieu de rappeler ici que les « salariés de la philosophie »[12], pour parler comme Ferrari en son temps, ne peuvent encourir le risque d’outrepasser leur mission étant justement employés pour ne pas remettre en question l’ordre qu’ils reproduisent ou garantissent plus ou moins. L’enfant, l’adolescent, le jeune adulte, est une surface de projection qui n’intéresse le technicien, l’ingénieur pédagogique, le pédagogue, qu’autant qu’il est considéré comme un élément à former, plastifier, produire, selon des objectifs qui ne sont pas aléthurgiques ou parrhésiastiques, mais, sa formation se fait selon des objectifs officiels d’un ministère ou d’une vision politique des programmes, des apprentissages, des évaluations. On est, dans cette logique académique, bien loin d’une activité philosophique critique où il est nécessaire de s’interroger fondamentalement et radicalement sur le sens même du sens et sur la finalité du langage avec lequel on interroge le monde et l’être-là.

Notre rapport à l’enfant est donc de part en part institué et institutionnalisé par des formes symboliques et des structures historiques qui déterminent la façon dont on peut lui parler, l’élever, lui donner des droits, l’assujettir ou non, l’inclure ou non dans telle ou telle pratique sociale, sportive, linguistique, lui faire subir telle ou telle expérience de vie ou de mort. Après tout, il n’y a pas si longtemps que les exercices militaires et l’instruction martiale des adolescents à la guerre ont cessé dans nos établissements scolaires. L’enfant, avant d’être un ange ou un démon, fut pendant longtemps considéré comme une terre muette, sans identité fixe, sans avenir et avec un présent plus ou moins éphémère. Le massacre des Innocents ne fut pas que biblique ; jusqu’à peu, le fait que l’enfant ne pouvait s’exprimer signifiait qu’il ne souffrait pas ou dans une moindre mesure que celle des adultes. Et la question de son sexe fut tout le programme d’une certaine médecine et d’un « dispositif psy »[13] qui voulait tellement faire parler le sexe de l’enfant que la psychanalyse lui a donné une langue pour en tenir lieu. Cette hyper-sexualisation de l’enfant, pervers polymorphe selon Freud[14], a culminé dans une théorie du pansexualisme se muant en tout est signifiant qui a fait les choux gras d’un structuralisme paresseux qui a pu ainsi faire l’ellipse de la recherche documentée historique et d’un travail gris sur les formes matérielles des apparitions, des phénomènes, des conditions d’existence et des événements liés à l’enfant en tant que tel.

En fait, l’enfant, tout comme l’enfance dans les champs d’une certaine sociologie hâtive de la culture[15], s’avère être plus souvent une surface de projection des intérêts du moment qu’une réalité substantielle ou historique faisant l’objet d’une attention particulière de la part des instances légitimées pour en dire la vérité ou proposer sur lui des analyses, reconnues par les institutions de véridiction, des garanties scientifiques, des connaissances officielles, des savoirs positifs. En ce sens, l’enfant est un nexus de fixations épistémiques permettant de comprendre le souci et le regard porté par une société sur sa progéniture.

Si l’histoire de la folie ou de la déraison, comme double négatif de l’histoire de la raison ou du bon sens, a pu nous faire comprendre comment on a légitimé l’enfermement des fous, des individus privés d’esprit, des idiots, des errants et autres imbéciles, pour leur santé et le bien public, on peut aussi dire que le négatif de l’enfant apparaît progressivement sur la plaque révélatrice de notre histoire au fur et à mesure qu’on le dégage des liens du travail forcé, des mines et des champs. Après la Révolution industrielle où petit à petit il apparaît comme être particulier, doué d’une raison et d’une puissance spécifique avec une idiosyncrasie qu’il faut étudier pour en faire un bon ouvrier, une force travail saine et efficace pour la machine ne cessant de s’améliorer par les développements de la recherche appliquée à la production économique et technique, l’enfant entre dans la grande histoire car il est lié à celle du travail et des mutations du Capital. L’enfant invisible, rendu visible par son inutilité ou son utilité relative, fut l’occasion pour la société du 19ème et du début 20ème de s’interroger sur le rôle qu’on pourrait lui faire jouer une fois éduqué, discipliné, normé et standardisé selon les codes et les finalités du Capital et du monde du travail qu’il sert dans l’industrie. Le travail des enfants, comme celui des femmes et des étrangers, n’est pas négligeable dans la constitution de la richesse occidentale. En effet, en ce sens, l’enfant fut l’appendice de la machine avant que d’en être exclu, par elle et sa logique anonyme et objective, du fait de son impéritie, de son impuissance propre, et de son manque de compétence par rapport à la productivité efficiente et indiscutable de la machine-outil et de ses avatars mécaniques, robotiques, automatisés. De fait, les machines de la grande industrie n’ayant plus les failles de l’enfance de l’art et l’ingénuité épistémologique des métiers[16], l’enfant peut faire l’objet d’attention politique et de considération morale sur son état social, sanitaire, ses droits et son existence propre. Révéler les figures fantomatiques et spectrales de l’enfant dans la littérature européenne, de la Révolution industrielle à l’aube de La Grande Guerre, serait un travail édifiant sur les manières dont l’enfant fut la surface d’expression et de projection autant qu’un symptôme de la manière dont se pensait l’homo occidentalis à l’orée du désastre qui entraina le monde dans un conflit chaotique et généralisé[17].

Il n’en reste pas moins que la question de l’enfance de la raison s’est posée comme pédagogie de l’universel à partir de la singularité infantile : l’enfant, n’est-ce pas l’histoire de l’humanité à ses origines ramenée ? Etudier l’enfant, ne serait-ce pas, comme dans le mouvement rousseauiste qui lie formation de la société républicaine et éducation de l’homme de l’homme, Le contrat social et l’Emile, tout deux parus la même année, en 1762, relier l’analyse et les conditions de possibilité de la meilleure des sociétés des hommes libres à celle de la formation de son jugement par un curriculum de son autonomie et de son éducation à la liberté dans l’histoire considérée alors comme lieu de vie nécessaire pour la volonté éclairée ? Il semble que cette visibilité historique de l’enfant apparaisse au moment où la question du travail, de la santé, de la cohésion sociale, des motifs de l’organisation politique dans une société de plus en plus laïcisée, pose celle du sens et de la fonction des acteurs du lieu social et de sa reproduction : l’enfance devient le terrain privilégié, comme l’indigène, l’étranger, le colonisé, de la recherche de la réconciliation entre soi et l’autre, qu’on veut, au fond, ramener au même par un jeu de disciplines scientifiques expérimentales et objectives plus ou moins complaisantes dans ce jeu d’homologation et de reconnaissance idéologique du même. Renan et Ferry participent du même paradigme d’assurance épistémologique : celui de la réduction anthropologique du monde à la « civilisation » de la raison définie comme l’unique, la meilleure, la plus vraie, l’universelle, et qui s’affirme triomphante dans l’ordre du discours du dominant, souverainement assuré de la vérité et de la maîtrise du monde par ses savoirs et ses techniques qui, charité oblige, l’obligent à se soucier de l’universelle instruction de l’humanité.

Ainsi, scolariser les indigènes, ou les bourguignons et les cévenols, participent du même schéma idéologique. Eduquer, assujettir, assimiler, et produire une anthropofacture du même sur toute la planète est l’acte de civilisation par excellence : il s’agit d’exporter la Révolution, les sciences et les Droits de l’Homme, comme on instruit et façonne l’esprit et les corps des citoyens et des citoyennes sur le territoire national. Il n’y a qu’une seule humanité et qu’un seul maître dans l’histoire du monde : dans une phraséologie hégéliano-cartésienne, le 19ème siècle claironne le devoir de civiliser les masses et les peuples obscurs, voir obscurantistes, pour mieux les émanciper et les libérer de leur propre négativité. Il faudra les éduquer comme on éduque les enfants : à la férule et au respect de la loi et du Maître qui sait mieux qu’eux la fin de cette hiérarchie et de cette domination. Il faut libérer l’enfant de son côté sauvage comme il faut libérer les peuples premiers, primitifs disait-on au siècle de Lévy-Bruhl[18] et du positivisme universaliste, de leur propre ignorance et misère. La pédagogie à appliquer au colonisé sera la même, sauf dans les fins dernières, que celle pratiquée avec les enfants (et inversement) : ordre, méthode, discipline, obéissance, et abnégation continue, afin d’élever l’enfant et le primitif à la reconnaissance respectueuse des dons généreux de la civilisation à des peuplades et à des mineurs qui ne peuvent pas savoir ce qui est bon pour eux, n’étant pas au stade de la raison dans l’histoire et de la révolution économique et technique.

Une raison empirique définit alors ce que sont les vraies sciences et les vraies cultures ; il s’agit de faire comprendre aux enfants, comme aux barbares, et aux femmes, si possible, ce que sont la vraie vie et le bonheur donné par l’humanisme occidental de la rationalité scientifique et du progrès industriel. On se donnera alors tous les moyens pour faire comprendre et accepter à qui de droit cette pédagogie du Bien, du Juste, et du Progrès. Dût-elle s’inscrire par la herse, le travail forcé, la canonnière ou au moyen civilisateur et didactique de la colonie pénitentiaire.



Le tournant positiviste ou la science de l’éducation comme avenir politique de la formation du citoyen


L’histoire de l’humanité, dans cette conception universalisante et unifiante, étant de part en part rationnelle, il est clair que celle de l’enfant (incluse dans l’histoire du primitif et du sauvage compris comme stigmates ou reliquats de l’enfance de l’humanité) doit l’être dans la même logique. A partir du 17ème siècle se systématisent les traités d’éducation fondée sur les théories de la connaissance et les sciences de l’époque. L’empirisme de Locke, l’idéalisme de Descartes ou de Leibniz, le sensualisme de Condillac, le rationalisme de Condorcet, si différentes que soient ces théories entre elles, s’accordent pour s’appliquer à produire une pédagogie et une science de l’enfant considéré comme un être de raison en devenir, une entéléchie à accompagner, voire à instituer, afin de le mener sur la droite voie de la raison, pour parler comme Kant, qui a des accents très rigoristes et cartésiens quand il parle d’éducation[19]. La raison de l’enfant est homologue à celle de l’histoire : il suffit donc de retrouver l’essence de l’enfance dans les jeux, les idées, les façons de sentir et d’imaginer de l’enfant pour retrouver la même logique que celle qui promeut la rationalité et le jugement déterminant et réfléchissant chez l’homme dans l’histoire. La pédagogie n’est dans le fond qu’une anthropologie appliquée et l’anthropologie permet de comprendre en quoi il est nécessaire d’éduquer l’enfant pour que l’homme devienne ce qu’il est au fond de lui-même, à savoir : une raison en acte et en puissance. Tout le siècle des Lumières tourne autour de cette idée de la perfectibilité de l’humain et il suit de cette logique la nécessaire instruction de l’humanité : plus tôt on commencera l’éducation du genre humain, plus vite on en aura fini avec le règne sombre de l’obscurantisme. Ce scientisme appliqué, qu’on retrouve à l’œuvre dans les politiques publiques de Renan, Ferry et de Bismarck, fait de l’enfant un terrain à la fois emblématique de la réussite d’une politique éducative mais aussi l’enjeu de la formation des citoyens. L’enfant d’aujourd’hui, se plait-on à répéter, jusqu’à en faire un mantra républicain, est le citoyen de demain. L’attention qui est portée à l’enfant à l’époque victorienne et positiviste en fera un sujet politique d’importance[20]. L’enfant devient alors le territoire où la Science peut se révéler dans toutes ses puissances et dans le déploiement sans complexe de ses techniques d’éducation et de civilisation : elle s’appliquera à étudier et à baliser le champ de l’enfance qui devient alors le lieu de fouilles privilégié des nouvelles sciences sociales et humaines. Après tout, diront les savants de toutes les disciplines[21], dans un souci de déterminisme holistique assez révélateur de l’état d’esprit dans lequel on pense l’enfant, l’adulte ne peut être qu’un enfant éduqué, ou le devenir de son enfance. Nietzsche fera même du redevenir enfant la finalité de la sagesse de Zarathoustra. N’est-ce pas l’enfant qui résiste à la civilisation en soi et hors de nous, et n’est-ce pas lui, encore, qu’il faut écouter et laisser advenir dans les pensées dites actives, progressistes, et les pédagogies de l’autonomie qui s’en réclament de l’école de Summer Hill à la remuante université de Vincennes [22]?

Cela ne veut pas dire que la perversion ne fait pas partie de l’enfant ; c’est justement parce qu’elle en est une composante qu’elle doit être comprise comme une négativité dialectique de la rationalité en devenir dans l’enfance. Le jeu et les imaginations de l’enfant ne sont pas des puérilités ou des enfantillages mais plutôt des moments singuliers et plus ou moins complexes de la rationalité en devenir de l’enfant. En fait, tout écart à la norme appelle en contre-type sa rectification morale et spirituelle. C’est pour cela que ces libérations de la parole de l’enfant sont toujours des politiques vertueuses visant à produire un sujet de norme et discipliné à la norme morale. L’enfant est donc l’alibi d’une sotériologie orthopédique visant à l’amener, par le biais d’une technique plus ou moins sophistiquée, à reconnaître qu’il n’y a qu’un monde et qu’une histoire : celle de la raison qui le laisse jouer, errer, délirer (retirer ses liens), vagabonder, libre de réaliser ou non ses caprices, car, en fin de compte, la raison pédagogique ruse toujours déjà avec son désir de jeu et de liberté. Tôt ou tard, le maître en effet lui annoncera la fin de la récréation et l’ordre à tenir pour devenir citoyen, bon père de famille, producteur plus moins diplômé, cadre ou ouvrier, en tout cas, discipliné afin qu’il produise et puisse efficacement reproduire l’ordre qui a toléré son relatif désordre pour mieux lui faire accepter, désormais, une fois mature et responsable, autonome et éduqué, civilisé et policé, le discours du Maître et de son asservissement volontaire et accepté.

La question de l’innocence et de la liberté de l’enfant est toujours liée à celle de son contrôle et à la façon de diriger sa conduite, ses mœurs, son langage et sa vie[23]. C’est pour cela qu’on ne peut pas produire une vision de l’enfant qui ne soit pas une façon biopolitique de produire une vérité de l’enfance, une logique de sa constitution, une cartographie de son devenir (et ainsi définir une politique de son être au monde, de ses puissances, des cadres de ses libertés), qui définit une taxinomie, fût-elle dialectique et ouverte, qui ne soit pas pour l’enfant le rêve de son invention ou le dispositif par lequel, en négatif, en mode hétérotopique, les normes du monde adulte enserrent son devenir dans un processus de subjectivation appelant en creux la limitation de sa spontanéité.

La naissance des enfants, dit le philosophe, c’est la mort des parents ; la pédagogie qui se veut science et qui élargit son histoire à l’anthropologie du fait éducatif, énonce que la vie des enfants est leur mort programmée dans leur devenir adulte. Il est donc plus que légitime de se demander si l’identification de l’enfant au philosophe d’une part est légitime, la naïveté de l’un n’étant pas du même ordre que la prudence réflexive de l’autre, et, d’autre part, si l’acte de faire entrer l’enfant dans la philosophie et l’enfance de la philosophie dans l’enfant, relève bien d’un acte philosophique. Nous ne doutons pas de l’utilité sociale, pédagogique, morale, bref de la rationalité instrumentale et pratique de tels dispositifs d’ateliers de philosophie avec, pour, par les enfants[24]. Que, depuis Platon et à sa suite Rousseau, la philosophie ne soit une façon de réfléchir sur les vices et les vertus et qu’elle soit une direction éthopoïétique pour ceux et celles qui la pratiquent, ne fait aucun doute. Mais, il nous semble qu’une dérive est en train de s’accomplir sous nos yeux : l’instrumentalisation de la philosophie pour davantage surscolariser les enfants et ainsi les écarter du caractère émancipateur de la réflexion philosophique qui dépasse le cadre académique de sa mise en programme scolaire et de son côté académique.

Car ce qui manque singulièrement à l’activité scolaire de la philosophie, c’est justement ce que nous avons caractérisé au début de cette étude comme étant la singularité parrhésiastique de la pensée philosophique : le courage de la vérité qui s’exerce au risque de sa vie, de son aura, de sa position sociale, de son existence. Il y a un risque dans la praxis philosophique et l’évacuer par une mise en scène scolaire ou morale, c’est alors transformer celle-là en pratique sophistique ou rhétorique, ou encore pire, en faire une activité de loisir ou de délassement sans conséquences éthiques et politiques sur soi, l’autre, le monde. Penser philosophiquement, c’est aussi et surtout prendre avec soi et contre soi un tour qui ne relève pas de la technè, de l’ingénierie pédagogique ou de l’assurance détachée du professeur qui n’a pas à se soucier du devenir de ses élèves dans la vie de tous les jours, et encore moins de leur façon de mener éthiquement, spirituellement et philosophiquement, leur existence[25].


Le risque de l’enfance dans la philosophie : l’aporie de la raison généalogique et la moralisation de l’enfant dans la philosophie des professeurs


Philosopher avec les enfants sans prendre en compte l’histoire de leur subjectivation et de leur constitution dans le champ de l’histoire qui les a fait être ce qu’ils sont ou la manière dont ils apparaissent dans notre épistémè me paraît être très imprudent. Il y a en effet une façon aujourd’hui d’utiliser les enfants et leur langage pour faire croire qu’on philosophe avec eux dès lors qu’on leur fait dire, énoncer, construire des propositions qui étonnent un certain monde adulte, coupé de tout usage de la raison critique : la mise en mots d’une expérience ou d’une émotion ne devient philosophique que si cette mise en forme s’accompagne d’une question critique qui modifie en retour le sujet qui élabore un langage d’exposition. Si cette réflexivité et si cette élaboration transforment le sujet, non pas de façon vertueuse ou éphémère, mais en opérant une mise en distance de soi avec soi et une autre façon de parler le monde, alors il y a une émancipation critique qui libère le sujet de ses commodités d’usage et doxiques. Sinon, l’enfant devient alors l’alibi d’une morale de l’ordre et la philosophie, ou le vocable de philosophie, est utilisée pour rendre acceptables le monde de la « communication », ou de la « discussion philosophique ». Il nous semble que la philosophie avec les enfants devient alors une technique d’animation visant à faire accepter les dérives populistes de la réflexion moralisatrice ou accusatrice sur l’actualité, rendre familier le monde ou la vision du monde (Weltanschauung) de l’économie illibérale, faire croire que les dérives pédagogistes sont des moments d’apprentissages réels, et ainsi réduire la difficile activité de pensée à une litanie mécanique de récitations de leçons de morale sur la citoyenneté, les droits et devoirs du citoyen, la question du genre, l’écologie comme horizon du monde, la liberté essentialisée, l’universalité de l’anthropologie confondue avec les limites de l’humanisme contemporain.

Les normes de comportements biopolitiques auxquelles nous sommes assujettis, les disciplines de toutes sortes qui nous régissent, et qui peuvent être implicites à l’ère de la communication digitale et de la propagande de masse, supposent de la part des professionnels de la pensée critique, des intellectuels, spécifiques, au sens de Foucault et en situation, au sens de Sartre[26], qu’ils sachent exactement ce que signifient leurs discours et leurs pratiques discursives, dans le moment de leur énonciation. Il est clair que si la pratique de la philosophie n’interroge pas le caractère parrhésiastique de la pensée, alors elle deviendra une discipline de discussion, de rhétorique, de divertissement, ou de mise en forme esthétique d’émotions, plus ou moins labellisées pédagogiques, et qu’elle risque alors de devenir le compendium d’un monde cynique où l’information et le savoir, comme outils d’émancipation critique, seront escamotés au profit des protocoles du parler et du divertir qui font florès dans les vitrines médiatiques du monde numérique.

L’événement « enfance », ou le monde de l’enfant, appelle justement un écart à la norme ou une innovation stochastique et aporétique car non prévisible et dangereuse pour l’agencement ordonné des ordres du discours. En ce sens, l’éthique de vérité qui traverse la pratique philosophique ne peut s’accommoder d’une ritualisation de la « discussion » philosophique ou d’une institutionnalisation du « café philosophique » (qui n’est pas l’agora) préjudiciable à l’audace du dire-vrai ou à l’émergence d’une parole de véridiction qui fasse surgir la possibilité de penser autrement que sous la forme contrainte et scolaire d’une contrainte orthodoxique.

Après tout, l’eschaton de l’enfant n’est pas dans l’éthos de l’adulte qui se conforme au monde où il n’a pas à penser son être au monde ailleurs que dans et par les schèmes de son conditionnement à la reproduction de sa logique d’existence : le monde de l’enfance demeure une mémoire du futur pour ce qui n’a pas encore de lieu et de nom et donc qui échappe par définition à un cadrage épistémique, fût-il estampillé de manière rhétorique comme : philosophique. La vraie philosophie se moquant de la philosophie, l’enfant dans la philosophie échappe de fait à une philosophie positive de son devoir-être et appelle plutôt à une généalogie de nos savoirs et de notre pédagogie, si sûre de soi qu’elle en oublie son histoire et les processus de sa reconnaissance académique.

Ce mouvement vers l’incertain apparente l’enfant en devenir à celui qui n’est jamais présent dans le désir du Même : celui-ci, dans sa bienveillance généreuse, comme dans ses pires cauchemars, fabrique en effet les « réussites » éducatives et excluent du même coup le risque de la pensée qui est toujours ailleurs que dans les limites positives des jeux réglés de vérité bien ordonnée par les pesanteurs et les amnésies du jour[27].

[1] Jean Piaget (et collab.). Le Langage et la pensée chez l’enfant. Neuchâtel, Paris : Delachaux et Niestlé, 1924 ; Six études de psychologie. Genève : Gonthier, 1964. [2] Gaston Bachelard. Le Nouvel Esprit scientifique. Paris : Alcan, 1934. [3] John Dewey. Démocratie et éducation (1916). Trad. : Gérard Deledalle. Paris : Armand Colin et Nouveaux Horizons, 1990. [4] Sigmund Freud. Trois essais sur la théorie sexuelle. Trad. : P. Cotet, F. Rexand-Galand. Œuvres complètes, VI. Paris : PUF, 2006. [5] G. W. F. Hegel. Préface aux Principes de la philosophie du Droit (1821). Trad. J.-L. Vieillard-Baron. Paris : GF Flammarion, 1999, p. 76. [6] J’ai essayé de démontrer à la suite de Koyré et de Foucault, que toute l’œuvre politique de Platon et toute sa métaphysique prennent sens dans une anthropologie de l’éducation comme horizon eschatologique de la vie éthique. Cf. : Salim Mokaddem. Eduquer avec Platon. Paris : 2017 ; Michel Foucault. Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France. 1984. Paris : 2012 ; Alexandre Koyré. Introduction à la lecture de Platon. Paris : 1991. [7] Pour un lecture critique de la neuropédagogie bien en vogue dans certaines politiques éducatives, on lira avec intérêt le pertinent essai de Michel Blay et Christian Laval : Neuropédagogie. Le cerveau au centre de l’école. Paris : Tschann & Cie, 2019. [8] S. Mokaddem. De l’enfance et des enfants. Ontologie historique et anthropologie archéologique de l’enfance. Dialektikè 3 (2) : pp. 23-32 (2015). [9] On lira avec intérêt l’ouvrage toujours pertinent du philosophe historien Henri-Irénée Marrou : Histoire de l’éducation dans l’Antiquité. Paris : Seuil, 1948. [10] Les travaux de Michel Foucault sur l’aléthurgie et l’analyse des discours parrhésiastiques (notamment les cours des années 1983 et 1984) portent sur la culture antique, gréco-romaine, du dire-vrai sur soi pratiqué par les écoles pythagoriciennes, stoïciennes, épicuriennes. Dans les maîtres ouvrages du philosophe, notamment Surveiller et punir (1975) et Naissance de la clinique (1963), Foucault montre comment se crée des catégories et des disciplines dans les épistémaï, dans la médecine, la pédagogie, l’administration pénitentiaire et un type de légitimité historique se réclamant de la vérité et d’un type de savoir particulier s’autorisant de la rationalité scientifique. [11] Lire à ce sujet l Philippe Ariès : L’Enfant et la vie familiale dans l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960. [12] Joseph Ferrari. Les Philosophes salariés suivi de Idées sur la politique de Platon et d’Aristote et autres textes. Paris : Payot, 1983. [13] Selon Michel Foucault, faire parler le sexe a été une des visées essentielles de la science médicale et de la bourgeoisie du 19ème siècle jusqu’à la psychanalyse freudienne. Cf. La Volonté de savoir. Gallimard. Paris : 1976. [14]Id., op. cit. [15] Dans le cadre d’un cours donné en 2022 à des étudiants de Licence de la Faculté d’éducation de l’Université de Montpellier, portant sur la sociologie des pratiques culturelles de la jeunesse, nous avons mis au jour le concept de production dialectique de soi (auto-poïétique) à partir d’une appropriation des pratiques culturelles normées pour en faire des processus de subjectivation spécifique. C’est notamment extrêmement explicite dans les usages du numérique et l’esthétisation des corps pour proposer de soi une figure existentielle proche de ce qu’on peut appeler une surface d’expression de l’intime dans le corps social. Ainsi, toute sociologie culturelle, en tant qu’anthropologie critique, ne peut être qu’une phénoménologie appliquée au fait social total. [16] Jean-Claude Beaune. La technologie introuvable. Recherche sur la définition et l’unité de la Technologie à partir de quelques modèles du XVIIIe et XIXe siècle. Paris : Vrin, 2000. [17]A contrario d’une certaine vulgate, nous datons la mondialisation (Weltung) de la fin du 18ème siècle avec l’universalisation au sens kantien de la Révolution française de 1789, et la globalisation avec l’apparition du premier conflit d’armées nationales industrialisées (mondialisation de l’économie fiduciaire et polarisation des économies autour des liens entre libéralisme et volonté de savoir). [18] Lucien Lévy-Bruhl. La Mentalité primitive. Paris : Félix Alcan,1922. [19] Emmanuel Kant. Réflexions sur l’éducation. Trad. A. Philonenko. Paris : Vrin, 1966. [20] On lira à ce sujet la belle analyse généalogique faite par Foucault dans La Volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976, du dispositif psy et de la psychanalyse qui centrera toute son attention sur la sexualité de l’enfant d’une part, et par après, sur la libido, d’autre part, considérée dans son histoire plus ou moins refoulée comme étant la causalité surdéterminante des troubles psychiques de l’humain. [21] Nous renvoyons aux cours de Michel Foucault qui précédent la parution de Les Mots et les choses, Gallimard, 1966, à paraître prochainement aux éditions Seuil/Gallimard/EHESS. [22] L’œuvre de Françoise Dolto en est un parangon total. Cf. id. Les chemins de l’éducation. Paris : Gallimard, 1994. [23] Michel Foucault. Surveiller et punir. Paris : Gallimard, 1975. Jacques Rancière. Le Maître ignorant : cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle. Paris : 10/18, 2004. [24] Nous avons expérimenté les pratiques philosophiques en milieu lycéen avec des classes de Terminale professionnelle, à l’Ecole et au Collège, et avec des publics non traditionnels de la philosophie universitaire : cela a toujours été fait dans un souci d’éveil critique à la pensée sans souci de moralisation ou d’apologétique. On se reportera à nos pratiques de philosophie avec des enfants et des adultes au Théâtre nationale et européen de l’Odéon à Paris et à nos ateliers de réflexion philosophique menés au Brésil, en Corée du Sud, en Europe et en Afrique de l’Ouest et qui partent toujours de problématiques non pédagogiques et non moralisatrices mais délibérément critiques au sens le plus kantien du terme : oser penser par soi-même contre soi-même et sans recours au maître du jour. [25] On peut même rappeler que la laïcité à l’Ecole pose l’interdiction de s’immiscer dans le devenir subjectif de l’enfant, de l’adolescent et s’interroger sur les formes, figures, styles et modalités du philosopher dans un tel régime scolaire. [26] Michel Foucault. Dits et écrit. Tome 2 et 3. Paris : Gallimard, 1994 ; Jean-Paul Sartre. Plaidoyer pour les intellectuels ? Paris : Gallimard, 1972. Sartre définit l’intellectuel comme étant celui « qui se mêle de ce qui ne le regarde pas » (Ibid., p. 12) ; Foucault, dans son dialogue avec Gilles Deleuze en 1976 (op. cit., tome 2) n’est pas très loin en 1976 de cette position engagée, avec cette nuance qu’il ne milite pas au nom d’une cause universelle mais en prenant acte de ses pratiques singulières toujours situées dans un contexte singulier, d’où la spécificité de ses engagements. [27] Rappelons que la philosophie n’est pas un jeu ; les enfants ont horreur qu’on les prenne pour des enfants et ils visent souvent à rencontrer des adultes qui leur donnent le sens et l’ouverture au mystère de la vie plutôt que des animateurs de jeux éducatifs et des pédagogues futiles, amis et Grand Capitaine, aux idées présomptueuses, qui risquent de leur faire mépriser le monde des adultes. Il est important que l’enfant comprenne la différence entre le sérieux du monde réel et substantiel de l’histoire (qui n’est pas un dimanche de la vie) et l’impuissance de leur liberté limitée, de par leur état ontologique et libre, car il vit immédiatement son être au monde sans référence autre que son monde ambiant (Umwelt), resserrant (le) tout en eux-mêmes. Hegel a bien vu cela dans la remarque du §175 des Principes de la philosophie du droit (op. cit., p. 141) qui mériterait à lui seul une étude et un commentaire serré et didactique à l’aune du populisme des « nouvelles » pédagogies du jour.

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