De l'utilité de l'État à l'ère de la financiarisation illibérale de l'économie ou les liens symboliques et sociaux comme grammaire du pouvoir
Peut-être, en quittant le registre mythologique, imagé et littéraire, au sens symbolique du terme (archéo-généa-logique de Foucault relisant Nietzsche) faudrait-il parler de la transformation de l'Etat aujourd'hui, plutôt que de sa mort, dans la mesure où la déconcentration des prérogatives de souveraineté, la décentralisation des directions centrales et des services, la gouvernance par la concertation et les nouvelles techniques de promotion des cadres et les principes de subsidiarités diverses - je ne rentre pas dans les détails ici- décuplent les pouvoirs micropolitiques par le renforcement des hiérarchies privées et publiques qui entraînent une dilution de la rationalité concrète dans le jeu des promotions des responsabilités et des mises à l'écart des indésirables.
En effet, par le biais de l'accès, direct et indirect, aux progressions de carrières et aux nominations "politiques", l'Etat juridico-administratif et politique s'assure de ne pas concentrer et focaliser les ressentiments des injustices et des gratifications subies et données et il se met en retrait tactique des savoirs classiques des régimes de la résistance aux micropouvoirs (abus locaux des hiérarchies incestueuses et des cooptations oedipiennes), en démultipliant les chicanes de son exercice et en rendant inaccessible la tutelle : les barrières (ou écrans) ainsi disposées n'autorisent plus les doléances directes ou les mouvements explicites de recommandations ( la mise en et au "mouvement", comme il est bien dit dans la fonction publique). Il me semble qu'il se joue dans la question de l'Etat aujourd'hui quelque chose qu'Hegel a bien senti quand il le met du côté de l'Esprit objectif, donc, de l'entendement qui est, bien sûr!, chez lui, une puissance de négatif, de division, de mort donc, mais, tout aussi bien, et dans le même mouvement, l'Etat est dialectiquement porteur de son ombre (et de sa lumière) et de son retrait vers ce qui le légitime et le porte à la manifestation de sa puissance. L'Etat n'est alors pas mort : il est relevé par son autre lui-même, par sa vérité, qui est un mixte de force et d'entendement. La raison de son effacement est qu'il n'a plus besoin de régler les sociétés civiles directement puisqu'elles agencent techniquement et politiquement (culturellement, administrativement, économiquement, etc.) leurs vies propres.
En ce sens, l'Etat moderne n'est plus provident ou prolixe, et encore moins régulateur ou médiateur : il est le deus absconditus qui calcule les raisons et les déraisons de son engagement ou de ses désengagements dans les tribulations des libertés en acte.
Il est Dieu sur terre qui s'est retiré dans le Royaume des cieux afin de mieux voir et de bien savoir la vie des Etats qui composent son Ordre, son cosmos et son chaos nécessaire. En ce sens la logique de l'État est de préserver par son absence d'immanence un espace symbolique d'inscription d'une altérité qu'on peut appeller transcendante ou sacrée à condition de ne pas indexer le monde dans lequel nous vivons, sommes et produisons par un autre monde imaginaire normatif et situé au-delà de nos actions les plus prosaïques.
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